Musique sur Internet : Et le juge a dit...
Que lon ne pouvait forcer les fournisseurs de services Internet (FSI) à identifier des utilisateurs soupçonnés déchanger des fichiers musicaux.
Laffaire remonte au 11 février dernier. Un groupe de sociétés membres de la Canadian Recording Industry Association (CRIA) exige de la Cour fédérale que cinq FSI (Bell/Sympatico, Rogers, Shaw, TELUS et Vidéotron) divulguent lidentité de 29 utilisateurs ayant téléchargé par lintermédiaire des services KaZaA et iMesh plus dun millier de fichiers musicaux sur lesquels elles détiennent des droits. Ils entendent, avec ces données, jumeler des pseudonymes dutilisateurs des services déchange poste-à-poste (P2P) à des adresses IP et obtenir des FSI les données nominatives de ces abonnés. Les sociétés (BMG, Warner, Sony, Universal, EMI, etc.) allèguent que cette forme déchange enfreint leurs droits en vertu de la Loi sur le droit dauteur. Les procureurs des FSI ont cependant soulevé, comme on sy attendait, de nombreuses objections.
Le seul point sur lequel plaignants et mis en cause se sont entendus est celui de lapplication dans la présente cause des dispositions de la Loi sur la Protection des renseignements personnels et les documents électroniques contenues en son article 7(3)c) soit que :
«7.(3) Pour lapplication de larticle 4.3 de lannexe 1 et malgré la note afférente, lorganisation ne peut communiquer de renseignement personnel à linsu de lintéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :...
c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance dun tribunal, dune personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;»
Or le juge na pas ordonné aux FSI de divulguer les données pouvant permettre didentifier les présumés contrevenants à la Loi sur le droit dauteur. Dailleurs, la lecture de la décision du juge Konrad von Finckenstein (fichier PDF, en anglais, extraits traduits librement en attente de la version officielle) révèle de sérieuses failles dans la cause telle que présentée par les procureurs de la CRIA.
Après avoir cerné le cadre juridique de la cause, le juge écrit :
«[43] En vertu des précédentes, il est clair dans mon esprit que les plaignants nont pas :
- établi de cause prima facie (la preuve dans leur affidavit est déficiente, ils nont pas établi un lien de cause à effet entre les pseudonymes P2P et les adresses IP, et nont pas soumis de preuve prima facie de violation);
- établi quà toutes fins pratiques les FSI étaient lunique source pour identifier les utilisateurs de pseudonymes P2P;
- établi que lintérêt public lemportait sur les questions de vie privée dans la divulgation des données, eu égard à lâge des données.»
Les plaignants avaient chargé la société de services anti-piratage MediaSentry denquêter sur léchange de fichiers musicaux sur lesquels ils ont des droits. Cest le directeur général de MediaSentry, Gary Millin, qui a témoigné des résultats de lenquête, mais le juge a qualifié son témoignage de «ouï-dire» car les informations quil rapportait venaient de ses employés, lui-même nayant pas participé directement à lenquête. Le juge écrit : «Il semble clair que dautres employés de MediaSentry auraient été mieux à même de présenter les affidavits sous serment et de répondre en connaissance de cause au contre-interrogatoire».
De plus, Millin a décrit devant le juge la technique de MediaSentry nommée MediaDecoy qui consiste à rendre disponible de «faux fichiers» musicaux sur les services déchange. Ils présentent les caractéristiques de fichiers musicaux, mais sont inopérants, donc source de frustration et élément que lon veut dissuasif pour les utilisateurs. Toutefois, Millin a avoué ne pas avoir écouté de fichiers présumément piratés pour voir sil sy trouvait des fichiers MediaDecoy, et que cette fonction ne sinscrivait pas dans le cadre du mandat que la CRIA lui avait confié.
Le juge von Finckenstein a également critiqué la preuve liant le pseudonyme Geekboy@KaZaA au numéro IP 24.84.179.98 affecté au FSI Shaw Communications. Il déclare que rien dans les éléments présentés par MediaSentry ne vient établir un lien entre le pseudonyme et ladresse IP au moment des faits constatés, et quil serait «irresponsable pour le tribunal dordonner la divulgation du nom de labonné de ladresse IP et de lexposer à des poursuites.»
Le juge a cité la décision de la Commission du droit dauteur du 12 décembre 2003 selon laquelle le téléchargement pour utilisation privée dune oeuvre musicale ne constitue pas une violation du droit. Aucune preuve na été faite que les utilisateurs visés par la demande de divulgation avaient diffusé ou distribué des oeuvres protégées; ils navait fait que déposer des oeuvres dans des répertoires de services P2P. «Le simple fait de placer une copie dans un répertoire partagé sur un ordinateur accessible par un service P2P ne constitue pas un acte de distribution. Avant quil y ait distribution, il doit y avoir un geste direct par le propriétaire dun répertoire partagé, comme lenvoi de copie ou une annonce à leffet quelle est disponible.
Dans la présente cause, il ny a eu aucune preuve à cet effet. Les plaignants nont réussi à prouver que les présumés contrevenants avaient rendu disponibles des copies sur leurs répertoires partagés. Le droit exclusif de rendre disponible une oeuvre est inclu dans le Traité de lOrganisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (CRNR/DC/95 Rev.), mais ce traité na pas été mis en oeuvre par le Canada, et ne fait donc pas partie du cadre juridique canadien en matière de droit dauteur. Bref, pas de crime, pas de divulgation des données personnelles des utilisateurs.
Selon Richard Pfohl, conseiller juridique de la CRIA, lassociation entend se pourvoir de son droit dappel.
Que comprendre de ce jugement? La plainte de la CRIA a été deboutée, certes, et il nest toujours pas illégal déchanger des fichiers de musique en vertu de la jurisprudence et du droit canadiens. Cependant, si la plainte a été rejetée par le juge von Finckenstein, cest en grande partie à cause de la faiblesse de la preuve présentée par les procureurs de la CRIA.
Laffaire remonte au 11 février dernier. Un groupe de sociétés membres de la Canadian Recording Industry Association (CRIA) exige de la Cour fédérale que cinq FSI (Bell/Sympatico, Rogers, Shaw, TELUS et Vidéotron) divulguent lidentité de 29 utilisateurs ayant téléchargé par lintermédiaire des services KaZaA et iMesh plus dun millier de fichiers musicaux sur lesquels elles détiennent des droits. Ils entendent, avec ces données, jumeler des pseudonymes dutilisateurs des services déchange poste-à-poste (P2P) à des adresses IP et obtenir des FSI les données nominatives de ces abonnés. Les sociétés (BMG, Warner, Sony, Universal, EMI, etc.) allèguent que cette forme déchange enfreint leurs droits en vertu de la Loi sur le droit dauteur. Les procureurs des FSI ont cependant soulevé, comme on sy attendait, de nombreuses objections.
Le seul point sur lequel plaignants et mis en cause se sont entendus est celui de lapplication dans la présente cause des dispositions de la Loi sur la Protection des renseignements personnels et les documents électroniques contenues en son article 7(3)c) soit que :
«7.(3) Pour lapplication de larticle 4.3 de lannexe 1 et malgré la note afférente, lorganisation ne peut communiquer de renseignement personnel à linsu de lintéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :...
c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance dun tribunal, dune personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;»
Or le juge na pas ordonné aux FSI de divulguer les données pouvant permettre didentifier les présumés contrevenants à la Loi sur le droit dauteur. Dailleurs, la lecture de la décision du juge Konrad von Finckenstein (fichier PDF, en anglais, extraits traduits librement en attente de la version officielle) révèle de sérieuses failles dans la cause telle que présentée par les procureurs de la CRIA.
Après avoir cerné le cadre juridique de la cause, le juge écrit :
«[43] En vertu des précédentes, il est clair dans mon esprit que les plaignants nont pas :
- établi de cause prima facie (la preuve dans leur affidavit est déficiente, ils nont pas établi un lien de cause à effet entre les pseudonymes P2P et les adresses IP, et nont pas soumis de preuve prima facie de violation);
- établi quà toutes fins pratiques les FSI étaient lunique source pour identifier les utilisateurs de pseudonymes P2P;
- établi que lintérêt public lemportait sur les questions de vie privée dans la divulgation des données, eu égard à lâge des données.»
Les plaignants avaient chargé la société de services anti-piratage MediaSentry denquêter sur léchange de fichiers musicaux sur lesquels ils ont des droits. Cest le directeur général de MediaSentry, Gary Millin, qui a témoigné des résultats de lenquête, mais le juge a qualifié son témoignage de «ouï-dire» car les informations quil rapportait venaient de ses employés, lui-même nayant pas participé directement à lenquête. Le juge écrit : «Il semble clair que dautres employés de MediaSentry auraient été mieux à même de présenter les affidavits sous serment et de répondre en connaissance de cause au contre-interrogatoire».
De plus, Millin a décrit devant le juge la technique de MediaSentry nommée MediaDecoy qui consiste à rendre disponible de «faux fichiers» musicaux sur les services déchange. Ils présentent les caractéristiques de fichiers musicaux, mais sont inopérants, donc source de frustration et élément que lon veut dissuasif pour les utilisateurs. Toutefois, Millin a avoué ne pas avoir écouté de fichiers présumément piratés pour voir sil sy trouvait des fichiers MediaDecoy, et que cette fonction ne sinscrivait pas dans le cadre du mandat que la CRIA lui avait confié.
Le juge von Finckenstein a également critiqué la preuve liant le pseudonyme Geekboy@KaZaA au numéro IP 24.84.179.98 affecté au FSI Shaw Communications. Il déclare que rien dans les éléments présentés par MediaSentry ne vient établir un lien entre le pseudonyme et ladresse IP au moment des faits constatés, et quil serait «irresponsable pour le tribunal dordonner la divulgation du nom de labonné de ladresse IP et de lexposer à des poursuites.»
Le juge a cité la décision de la Commission du droit dauteur du 12 décembre 2003 selon laquelle le téléchargement pour utilisation privée dune oeuvre musicale ne constitue pas une violation du droit. Aucune preuve na été faite que les utilisateurs visés par la demande de divulgation avaient diffusé ou distribué des oeuvres protégées; ils navait fait que déposer des oeuvres dans des répertoires de services P2P. «Le simple fait de placer une copie dans un répertoire partagé sur un ordinateur accessible par un service P2P ne constitue pas un acte de distribution. Avant quil y ait distribution, il doit y avoir un geste direct par le propriétaire dun répertoire partagé, comme lenvoi de copie ou une annonce à leffet quelle est disponible.
Dans la présente cause, il ny a eu aucune preuve à cet effet. Les plaignants nont réussi à prouver que les présumés contrevenants avaient rendu disponibles des copies sur leurs répertoires partagés. Le droit exclusif de rendre disponible une oeuvre est inclu dans le Traité de lOrganisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (CRNR/DC/95 Rev.), mais ce traité na pas été mis en oeuvre par le Canada, et ne fait donc pas partie du cadre juridique canadien en matière de droit dauteur. Bref, pas de crime, pas de divulgation des données personnelles des utilisateurs.
Selon Richard Pfohl, conseiller juridique de la CRIA, lassociation entend se pourvoir de son droit dappel.
Que comprendre de ce jugement? La plainte de la CRIA a été deboutée, certes, et il nest toujours pas illégal déchanger des fichiers de musique en vertu de la jurisprudence et du droit canadiens. Cependant, si la plainte a été rejetée par le juge von Finckenstein, cest en grande partie à cause de la faiblesse de la preuve présentée par les procureurs de la CRIA.
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