Tirages de photos argentiques et numériques

Mais les tirages de photos numériques pourront-ils concurrencer sur le marché des acheteurs les tirages argentiques? La preuve n’est pas encore faite.
La vente de photos en galerie ne date que du milieu des années soixante-dix quand elle a timidement fait son apparition à New York. Depuis, il existe entre autres chez nos voisins un marché florissant de la «photo d’art». Comme le souligne Richard B. Woodward dans un article paru dans The Atlantic Monthly en juin 2002, Too Much of a Good Thing, une photographie de Man Ray s’est vendue un million de dollars en 1999. Des auto-portraits satiriques de Cindy Sherman qui se confondent en critique sociale se vendent 250 000 $, des photos en format géant de Andreas Gursky vont chercher 600 000 $.
Il s’agit bien sûr d’originaux, tirés du vivant de l’auteur et par l’auteur lui-même ou sous son étroite supervision. Les marchands et collectionneurs s’entendent pour qualifier ces tirages d’«époque» (vintage). Habituellement, il y a un nombre limité de tirages d’une seule photo, sinon un tirage unique, réalisé par l’auteur, immédiatement ou peu de temps après qu’il eut capté l’image sur support argentique. La valeur de ces tirages sur le marché est beaucoup plus élevée que les tirages subséquents ou posthumes (contemporary) des oeuvres d’un photographe.
Woodward écrit : «Cette hiérarchie comporte une certaine logique. Les tirages d’époque sont plus rares, et ce qui est rare renferme un plus grand potentiel sur le marché des collectionneurs. Ce qui est moins logique c’est la croyance romantique que ces tirages reflètent davantage les intentions du photographe. Même si le matériel de chambre noire ou la technique d’un artiste s’améliore au fil du temps, comme c’est souvent le cas, on estime que les premiers tirages nous rapprochent du moment de la création.»

Woodward pose certaines questions pertinentes sur la photographie d’art. Qu’est-ce qui constitue l’«original» en photographie, le négatif ou la diapositive d’origine ou le tirage? La valeur qu’on attribue à une photo découle-t-elle du cadrage du sujet ou de l’amalgame subtil des tons et des couleurs réalisé au creuset de la chambre noire? Une personne qui réalise un tirage posthume à partir d’un négatif d’un photographe, et qui vend ce tirage comme étant un tirage d’époque, devrait-il être tenu coupable de contrefaçon, ou d’un délit moindre?
Tentons de reprendre maintenant certaines de ces questions dans le contexte de la photographie numérique, de la «chambre blanche» et du marché émergent des tirages.

On aurait donc tendance, généralement, à dire que l’original serait le fichier utilisé pour réaliser le tirage. Par contre, à l’impression, un fichier peut donner des résultats sensiblement différents selon la marque de l’imprimante ou du papier utilisé. Certains résultats seraient même impossibles à reproduire fidèlement, selon mon expérience, en changeant de plate-forme, par exemple en passant pour une photo d’une combinaison imprimante/papier Epson à une combinaison Canon ou HP. Cette constatation pourrait militer en faveur du tirage comme original, mais pourrait être atténuée par l’inscription des détails techniques de l’impression dans un catalogue raisonné.

En numérique, la troisième question de Woodward sur la fausse représentation d’une oeuvre (d’époque par l’auteur ou autrement par des tiers) laisse songeur en raison du perfectionnement des outils d’imagerie. Avec un numériseur bas de gamme (moins de 100 $), il est possible de constituer un fichier numérique d’un tirage, puis d’imprimer ce fichier; la différence entre l’original et la copie numérisée est à toutes fins pratiques imperceptible à l’oeil nu. Dans le cas d’un tirage 8X10 pouces, il s’agit de numériser à résolution maximale, puis d’imprimer tel quel le fichier obtenu.
C’est cette facilité de reproduire et de multiplier à faible coût des photos numériques qui, à terme, pourrait freiner la vente de tirages à des acheteurs en quête d’originaux. On pourrait parler de certificats d’authenticité, mais ces derniers sont aussi très simples à contrefaire.
La solution, si solution il y a, serait peut-être de n’acheter que de l’auteur ou d’une galerie qui le représente en exclusivité.
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