
Normand Miron (Les Charbonniers de l'enfer)
La Saint-Jean des Zapartistes
Spectrum, 24 juin 2004
Si nul ne sait lire sans l'avoir appris, tout le monde croit pouvoir lire des photos sans la moindre étude préalable, ce qui est une grave erreur.
Paul Almasy
En 1981, la société Sony mettait au point son premier prototype de la Mavica (Magnetic Video Camera) qui enregistrait des photos sur disquettes. La technologie nétait pas encore celle des appareils photo numériques daujourdhui, mais la porte était ouverte. En juin 1989, une équipe de la chaîne CNN a utilisé une Mavica pour saisir des photos de la répression armée sur la Place Tiananmen, et les a transmises à son bureau chef par lignes téléphoniques déjouant ainsi les censeurs chinois. Avec le remous provoqué récemment par la diffusion dautres images numériques, dans un contexte bien différent, on ladmettra, il est bon de se rappeler que lépisode Tiananmen a marqué le début dune nouvelle ère en journalisme. Dautre part, limage certainement la plus associée aux événements de juin 1989 est en fait un cadre tiré dune séquence filmée qui, elle aussi, a fait le tour du monde en un temps record. Le pouvoir dévocation est puissant : un homme seul, non armé, face aux blindés. Les groupes de défense des droits de la personne se sont tous appropriés limage symbole. Mais il convient de noter que les autorités chinoises ont également fait grande utilisation de cette même image, linterprétant à leur avantage. Les médias occidentaux qui ont publié cette image laccompagnaient de légendes exprimant la détermination et le courage des manifestants chinois à résister pacifiquement à la répression. En revanche, pour les médias gouvernementaux chinois, la photographie illustrait la grande retenue dont faisaient preuve les militaires chargés de «rétablir lordre». Si une image vaut mille mots, on reconnaîtra que tout réside dans le choix de ces mots.